Article complet de la lettre d'information des professions libérales publiée par l'AMAPL. - Octobre 2015 - Silvain Durand 

Vous vous apprêtez à signer un contrat de collaboration ? Que vous soyez le titulaire ou le collaborateur, quelques recommandations pour éviter de tomber dans les pièges les plus courants de ce type de contrat, illustrées par des jurisprudences récentes concernant des professionnels de santé.

Consultez les textes applicables

Commencez par l’article 18 de loi n° 2008-882 du 2 août 2005, qui impose un écrit et la rédaction de clauses spécifiques (durée, rémunération, conditions d’exercice, modalités de rupture, modalités de suspension en cas de survenance de maladie ou maternité).

Assurez-vous que la profession concernée ne connaît pas de règles spécifiques au contrat de collaboration. Nombreuses pour les avocats, ces règles sont plus éparses pour les professionnels de santé : obligation de renégociation pour les masseurs-kinésithérapeutes au terme d’un délai de quatre ans (C. Santé Pub., art. R.4321-131), principe d’unicité du collaborateur pour les médecins et les chirurgiens-dentistes (C. Santé Pub., art. R. 4127-87 ; art. R. 4127-276).

Sachez enfin que vous devrez vous conformer aux règles générales de déontologie (respect du secret, libre choix du praticien, conservation des documents etc…), ainsi qu’au droit commun des contrats qui connaît une obligation de loyauté (C. Civ., art. 1134 al. 3).

Ne créez pas les conditions d’une dépendance !

Le collaborateur libéral est un travailleur indépendant. Il ne doit en aucun cas être placé dans une situation de subordination, au risque de requalification de la relation en salariat par le conseil des Prud’hommes, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent (calcul de cotisations sociales, paiement de congés payés, indemnités de licenciement…).

La rédaction des clauses organisant la collaboration revêt bien sûr une grande importance. Il ne faut pas par exemple que le contrat de collaboration libérale contienne des clauses qui empêchent le collaborateur de se constituer une clientèle personnelle, ou encore lui imposent des horaires trop contraignants. Les modèles de contrats diffusés par les ordres proposent en général des clauses-types, à adapter selon les circonstances de l’activité.

En cas de litige, ce sont les modalités concrètes de la collaboration qui emporteront la conviction des juges, mais c’est au collaborateur qu’il appartiendra de rapporter la preuve des faits susceptibles de requalifier la relation en salariat, en démontrant l'existence d'un lien de subordination et l'absence de développement de toute clientèle personnelle (CA Paris, 15 septembre 2015, n° 12/11288).

Fort heureusement, les juges du fond apprécient le plus souvent ce lien de subordination avec une certaine sévérité, en retenant le contexte global de la collaboration plus que des faits isolés (v. dernièrement, concernant des masseurs-kinésithérapeutes ou des orthophonistes, CA Versailles, 17 septembre 2015, n°13/05165. - CA Aix-en-Provence, 12 décembre 2015, n° 2014/783. - CA Montpellier, 6 mars 2013, n° 11/05437).

Attention toutefois, car à l’instar de la jurisprudence concernant les avocats (Cass. Civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12966), les magistrats n’hésitent pas à requalifier la relation en salariat lorsque les conditions générales d'exercice révèlent un lien de subordination ne permettant pas au collaborateur d'exercer son activité professionnelle en toute indépendance et le plaçant dans l'impossibilité matérielle de développer une clientèle personnelle (v. dernièrement s’agissant d’un masseur-kinésithérapeute qui n’avait aucune latitude dans la gestion du traitement des patients, la prise de rendez-vous et la facturation, CA Paris, 15 septembre 2015, n° 12/11288. – v. aussi pour un podologue astreint à des horaires imposés dont les patients devaient être rattachés au cabinet, CA Paris, 20 décembre 2012, n° 11/08887).

Attention à la clientèle personnelle du collaborateur, clé de voûte de la collaboration

L’article 18 de loi n° 2008-882 du 2 août 2005 dispose que le collaborateur libéral peut se constituer une clientèle personnelle. Le contrat doit préciser à peine de nullité les conditions dans lesquelles le collaborateur libéral peut satisfaire les besoins de sa clientèle personnelle.

Afin de répondre à cette obligation, il est possible d’envisager par exemple un temps spécifique consacré à la clientèle personnelle du collaborateur. 

Compte tenu de l’incertitude pesant sur l’identification de la clientèle personnelle au moment de la conclusion du contrat, des clauses dites de rendez-vous, permettant de recenser la clientèle de chaque professionnel, peuvent être utilement prévues au fur à mesure de l’exécution du contrat.

 

L’assistant-collaborateur : une fausse bonne idée pour se dispenser de la clientèle personnelle ?

L’ordre des masseurs-kinésithérapeutes a développé une formule contractuelle intermédiaire qui distingue le collaborateur libéral de l’assistant-collaborateur (v. le site http://contrats.ordremk.fr). Les deux resteraient des professionnels libéraux, mais alors que le premier aurait droit à la protection de la loi du 2 août 2005, le second ne serait qu’une variété de collaborateur de seconde zone non soumis à cette réglementation protectrice. La différence tiendrait uniquement à l’interdiction contractuelle faite à l’assistant de se constituer une clientèle personnelle, sans toutefois que les conditions d’exercice de l’activité ne fassent dégénérer la relation en contrat de travail.
Cette distinction interroge : pourquoi le droit devrait-il accorder une protection juridique moindre à une personne à laquelle il a été expressément interdit de créer sa propre clientèle, ainsi placée dans un degré de dépendance manifestement plus élevé que celui qui dispose d’un droit sur la clientèle ?
Les masseurs-kinésithérapeutes pourraient-ils se prévaloir d’un usage créateur de droit sur ce point ?
La lecture de l’article 18 de la loi n° 2008-882 du 2 août 2015 devrait plutôt inciter les rédacteurs à la prudence sur ce point : lorsqu’une activité de collaborateur est effectivement exercée sans lien de subordination, ce dernier devrait toujours être mis en mesure de se constituer une clientèle personnelle. Entre professionnels réellement indépendants, la clientèle personnelle est donc moins un critère qu’un effet du contrat de collaboration libérale, à formaliser par écrit dans le contrat sous peine de nullité de ce dernier. Si les masseurs-kinésithérapeutes souhaitent donc se prévaloir d’un usage, ce ne peut désormais alors être qu’un usage contre la loi.
Dans l’attente d’une décision de la Cour de cassation susceptible d’éclairer ce débat, les juges du fond avancent encore à tâtons (v. par exemple, CA Douai, 3 décembre 2014, n° 13/05956, constatant, pour un contrat non soumis à la loi du 2 août 2005, que la formule d’assistanat a été détournée et que l’usage interdisant à l'assistant de développer une patientèle propre est certes répandu mais ne constitue pas une règle. - CA Aix-en-Provence, 18 septembre 2014, n° 2014-447, constatant que ces deux contrats sont en réalité extrêmement proches. – v. aussi CA Versailles, 13 novembre 2014, n° 12/05208). Dix ans après l’application de la loi du 2 août 2005, ces hésitations doivent inciter les rédacteurs à faire preuve d’une extrême vigilance sur la clientèle personnelle, sans laquelle le risque d’annulation et/ou de requalification en contrat de travail n’est jamais bien loin (v. par exemple, pour des infirmières, CA Pau, 23 juin 2015, n° 15/2609. – V. également, s’agissant d’un contrat intitulé Charte de bon fonctionnement d’un cabinet infirmier, CA Montpellier, 12 mars 2013, n° 11/8103).

 

Evaluez bien le prix de la collaboration

Le prix est fixé librement entre les parties, selon la valeur des services qui sont offerts au collaborateur. Les ordres peuvent proposer des seuils indicatifs de rétrocession. En cas de doute, adressez-vous à l’ordre, aux syndicats et vos collègues pour connaître les prix généralement pratiqués.

  • Chez les avocats, la rétrocession fixe et/ou en pourcentage est versée par l’avocat titulaire à l’avocat collaborateur : la prestation est une prestation de service intellectuelle facturée par le collaborateur. Les sommes sont généralement entendues HT, la soumission à la TVA du collaborateur n’ayant pas d’incidence car le titulaire est généralement soumis à la TVA.
  • Chez les professionnels de santé, le prix prend la forme d’une redevance versée par le collaborateur, généralement en fonction d’un pourcentage des honoraires qu’il a personnellement encaissés. La prestation facturée par le titulaire est une mise à disposition de la clientèle et des moyens du cabinet. Les sommes sont généralement entendues TTC, afin que la TVA soit incluse dans le montant de la redevance si elle devait être collectée. Car le titulaire doit facturer et encaisser la TVA si les seuils de franchise en base sont dépassés.

Durée de la collaboration : restez simple !

Les clauses de durée laissent une large place à la liberté contractuelle : le plus simple est de prévoir un contrat à durée indéterminée avec faculté de résiliation unilatérale pour les parties. Il est également possible de combiner une durée déterminée (par exemple un an), avec une clause de reconduction ou renouvellement tacite ou expresse.

Il est courant de prévoir une période dite d’essai, mais ce n’est pas obligatoire.

Pour le délai de préavis, on peut envisager un délai de prévenance initial (par exemple trois mois), puis une augmentation de ce délai en fonction de la durée du contrat (par exemple un mois tous les ans, sans pouvoir excéder six mois). Le délai doit être suffisamment long pour que chaque partie puisse se retourner.

Clause de non-concurrence post-contractuelle : à manier avec précaution !

  • Dans les contrats entre avocats, la clause de non-concurrence post-contractuelle est tout simplement interdite (article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971).
  • Pour les autres professionnels, une interrogation a surgi sur le principe même de licéité de ces clauses, compte tenu du droit pour le collaborateur à se constituer une clientèle personnelle. Les ordres professionnels, dans les modèles diffusés auprès des professionnels, demeurent extrêmement prudents sur le sujet, pour ne pas dire carrément évasifs.

La cour de cassation a un peu dissipé le doute en mars 2014 en cassant l’arrêt d’une cour d’appel qui avait jugé qu’une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de collaboration entre orthophonistes était par nature incompatible avec le statut de collaborateur libéral (Cass. Com., 11 mars 2014, n° 13-12503). Une clause de non-concurrence peut donc licitement être introduite dans le contrat, du moment qu’elle respecte les conditions générales de validité de ce type de clause.

Attention, car le droit de se constituer une clientèle personnelle ne devrait alors pas rester sans influence sur la validité de la clause : une clause de non concurrence doit en effet toujours être limitée dans le temps et dans l’espace, et proportionnelle aux intérêts légitimes à protéger. Les rédacteurs doivent donc intégrer l’idée qu’un juge tiendra probablement compte, au titre de l’intérêt du collaborateur libéral, de sa capacité à l’issue du contrat à exploiter en dehors du périmètre de non-concurrence la clientèle qu’il a personnellement créée.

A noter qu’aucun juge n’a jusqu’à présent étendu aux collaborateurs libéraux la solution applicable aux salariés obligeant l’employeur à verser une contrepartie financière à l’engagement de non-concurrence du salarié (CA Versailles, 13 novembre 2014, n° 12/05208). Il peut toutefois être utile de prévoir cette éventualité, comme le fait par exemple indirectement l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes en prévoyant une faculté de rachat de la clientèle personnelle du collaborateur.

Consultez un conseil

Si les ordres proposent des modèles de contrat facilement accessibles sur internet, le recours à un conseil reste toujours recommandé. Celui-ci, qui connaît l’état de la jurisprudence et les points à surveiller, vous assistera et vous conseillera au mieux dans la rédaction de l’acte, en insérant des clauses spécifiques pouvant répondre à vos attentes particulières dans le respect des règles de droit applicables.

Par ailleurs, l'Amapl propose à l'intention de ses adhérents une formation sur le contrat de collaboration animée par un professionnel du droit. Cette formation se déroule tour à tour à Paris, Nîmes, Avignon ou Perpignan.

Fiscalité du contrat de collaboration des professionnels de santé

- Pour le collaborateur, les redevances de collaboration sont déduites sur la ligne « location de matériel et mobilier » de la déclaration 2035, dans la case spécialement prévue à cet effet. Il reste prudent de les déclarer sur la DAS2 Honoraires, même si elles ne sont pas fiscalement assimilées à des honoraires  rétrocédés vis-à-vis de l’impôt sur le revenu. Elles sont déduites des recettes à prendre en compte vis-à-vis de la Contribution économique territoriale (CVAE, seuils de cotisation minimale de la CFE).
- Pour le titulaire, les redevances de collaboration sont des recettes commerciales rattachées au BNC et inscrites sur la ligne Gains divers de la déclaration 2035. Elles doivent être effectivement soumises à la TVA si le montant encaissé dépasse les seuils de la franchise à base de TVA, toutes redevances et autres recettes soumises à la TVA confondues.